TRAITÉ DE GRAVURE A L'EAU-FORTE IL A ÉTÉ TIRÉ DE CETTE ÉDITION EXEMPLAIRES SUR PAPIER DE HOLLANDE TRAITÉ LA GRAVURE A L'EAU-FORTE TEXTE ET PLANCHES PAR MAXIME LALANNE QUATRIÈME ÉDITION PARIS V e CADART, ÉDITEUR 5 Qn reste qu'une masse informe, dix fois trop mont, protec- A triœ des ani- mordue ; heureusement, il y a du noir à discré- piique ^as^à t ^ on cnez l'imprimeur; c'est une véritable ombre l'eau-forte. chinoise ; il semble que cet animal a pris le deuil de lui-même. Cependant, bien que la carcasse soit perdue, j'espère que vous pourrez sauver quelques membres ; les blessures sont profondes et larges ; on peut tenter un remède in extremis : votre cheval subira d'abord une attaque de char- bon; s'il en réchappe, nous le livrerons à de nou- A L'EAU-FORTE. 65 velles et féroces morsures; tout cela vous déroute. Donc, après l'avoir charbonné et l'avoir soumis à une dernière épreuve..., vous placerez celle-ci devant vous et vous recouvrirez la planche d'une solide couche de vernis ; avec une pointe un peu grosse, vous ferez le raccord dans les parties crevées, devenues blanches sur l'épreuve, en ayant soin d'harmoniser ce raccord avec le tra- vail environnant. Vous rétablirez ainsi les tailles disparues et ferez mordre en vous rapprochant autant que possible de la vigueur des morsures premières. Si vous n'obtenez rien de merveilleux, ce sera toujours moins mauvais ; à votre place, je n'hési- terais pas à recommencer. Le moyen que je vous indique est plutôt praticable dans des parties isolées. , Quand on a des crevés dans une partie très- serrée de travail et peu mordue, comme ils ne sont jamais profonds, on y remédie plus facile- ment; on passe d'abord le charbon avec beau- coup de précaution et de délicatesse ; la pointe sèche fait le reste. Bon! voilà encore notre ami qui, croyant prendre de l'essence pour nettoyer sa planche, y verse de l'eau-forte. Le reste de l'animal va y passer... Il n'est pas permis de massacrer ainsi une pauvre bête inofFensive. Heureusement, nous faisons voler à son secours plusieurs feuilles S 66 TRAITÉ DE LA GRAVURE de papier buvard, à défaut d'eau que nous n'avons pas à notre portée ; il était temps : le cuivre est seulement dépoli ; encore un peu de charbon... et Rossinante vit encore. A L'EAU-FORTE. 67 CHAPITRE VI. DISTINCTION ENTRE LA MORSURE A PLAT ET LA MORSURE PAR COUVERTURES AU PETIT VERNIS. Maintenant que vous voilà au courant des pratiques de la morsure, dis-je à mon élève, et que la reprise de vos travaux et la vue de ces divers accidents vous mettent en garde contre ce qu'il faut éviter, je puis déterminer, plus facilement que si j'avais commencé par là, la distinction qui existe entre les deux genres de morsure sur lesquels repose tout le système de la gravure à l'eau-forte, et dont on confond sou- vent les caractères différents. Ce que nous avons fait jusqu'ici vous fera mieux comprendre cette distinction ; ne pouvant pas du même coup vous indiquer toutes les ressources de la pointe et celles de la morsure, qui, comme je vous l'ai dit, ont entre elles des rapports directs, j'ai dû choisir, pour la démonstration des procédés, un exemple général qui me permît en ce moment d'en déduire la logique. 68 TRAITÉ DE LA GRAVURE Il y a deux genres de morsure : la morsure à plat et la morsure par couvertures au petit ver- nis (pl. III). Ces deux genres de morsure ont un rapport commun : Pun et l'autre ne comportent qu'un vernissage, et par conséquent qu'un bain. Leur différence tranchée consiste en ce que la mor- sure à plat s'obtient d'un seul coup, sur toute la surface du cuivre, en plaçant une seule fois la planche dans l'acide et la retirant au bout d'un temps quelconque; tandis que la morsure par couvertures se fait par des morsures successives ou partielles — si vous aimez mieux — en reti- rant la planche du bain et en couvrant les par- ties qu'on veut réserver autant de fois qu'on le juge nécessaire. D'après cela, la morsure à plat consiste à modeler avec la pointe, soit avec une seule pointe, soit avec plusieurs de diverses grosseurs. i° Avec une seule pointe, on obtient la va- leur des tons en serrant le trait pour les pre- miers plans ou pour les vigueurs, et en l'écar- tant pour les plans éloignés ou pour les finesses des plans plus rapprochés ; ainsi, pour obtenir sur un même plan le jeu de la lumière, on écarte le trait pour la partie éclairée et on le resserre pour l'ombre. L'usage d'une seule pointe donne le sentiment de ce que l'on veut faire, mais ne l'exprime pas. On peut sans doute employer ce A L'EAU-FORTE. 69 moyen pour un croquis qui représenterait un dessin à la plume ou au crayon ; mais il ne peut être appliqué avec succès dans une planche qui, par sa variété de coloration et la vigueur des morsures, doit exprimer l'idée d'une peinture. 2 0 Avec plusieurs pointes de différentes gros- seurs, les grosses servent pour les premiers plans ; les fines graduellement pour les autres. On les alterne dans les différents plans, en les écartant ou les rapprochant suivant les nécessi- tés de l'effet ; le creux est le même partout, mais la différence de largeur des traits permet de don- ner plus facilement à la gravure le caractère d'un dessin en la modelant davantage. Avec une seule pointe, comme avec plu- sieurs, il faut appuyer également partout, pour que l'eau-forte agisse en même temps et avec une égale intensité sur tous les points de la planche. S'il y avait inégalité d'attaque, les va- leurs seraient inégales à leur tour et différentes de ce que l'on aurait voulu obtenir. Dans la morsure par couvertures, c'est la morsure elle-même, et non la pointe, qui mo- dèle la gravure. i° Avec une seule pointe. C'est la manière la plus simple. On fait mordre par grands plans (pl. V, fig. 1). 2 0 Avec plusieurs pointes. Comme exemple très-simple, je vous signale le cas où Ton aurait 70 TRAITÉ DE LA GRAVURE besoin de serrer certaines parties d'un premier plan à côté d'autres très-larges; on fera mordre à peine les premières, et on donnera toute l'in- tensité de la morsure aux autres (pl. IV, fig. 2 ), De la même façon, on pourra équilibrer deux tons d'objets différents; l'un par un travail serré et peu mordu, l'autre par un travail écarté et plus mordu. La morsure par couvertures et avec plusieurs pointes est celle qui exige le plus d'at- tention et de discernement. Si l'on ne réussit pas du premier coup, on re- vernit et on rentre dans les travaux de reprises. En généralisant ces avantages, vous voyez où peut conduire la combinaison des travaux d'une ou de plusieurs pointes avec les morsures partielles, soit pour donner aux objets leurs va- leurs relatives, leur couleur naturelle et leur modelé, soit pour les disposer dans l'espace et arriver ainsi à la gradation harmonieuse des plans. Reportez-vous à nos opérations précédentes, et, en y rattachant ces explications dernières, vous pourrez les apprécier dans leur ensemble. La nécessité de trouver la vérité d'expression avec ces règles variées, soumises à des condi- tions différentes, vous obligera à une expéri- mentation personnelle et toute de combinaison entre la température extérieure, le degré de l'acide, le nombre des morsures partielles, la pression de la A L'EAU-FORTE. 71 pointe, ses diverses grosseurs, la variété des travaux obtenus par elles, etc., d'une part; et de l'autre, la durée de la morsure. Appelé à l'imitation rigou- reuse d'un sujet donné, vous devrez suivre une marche rationnelle et soutenue par une constante réflexion. Pour bien se familiariser avec ces dé- licates opérations, il faut pratiquer seul; si vous manquez quelques planches, ne vous en plaignez pas ; ce sera toujours un enseignement, car vous vous rendrez compte par les unes de ce qu'il faut faire pour les autres. L'expérience acquise par soi-même est le meilleur maître. ! DIVERS MODES DE MORSURE. Les deux genres précédents qui généralisent les règles de la morsure n'excluent pas des modes particuliers qui s'y rattachent; ainsi, on peut se borner, dans certaines planches, à éta- blir d'abord le trait simple que l'on fait mordre plus ou moins vigoureusement (pl. IV, fig. 3); puis on revernit et on enfume la planche pour continuer les travaux, soit partiellement, soit dans leur généralité. Rembrandt a souvent pro- cédé de la sorte; en suivant les états successifs de ses planches, on se rend compte des reprises de ses travaux; on voit qu'il s'attachait à tra- vailler extrêmement une partie quelconque de 72 TRAITÉ DE LA GRAVURE son sujet sans toucher aux autres; il en tirait une épreuve ; puis il revenait sur cette même partie avec des travaux plus fins et passait à d'autres plans qu'il travaillait suivant l'effet qui le préoccupait. Ce mode est souvent imité; comme exemple de son application, je vous citerai le cas où Ton aurait des ombres à faire passer sur un plan dé- taillé, sur un plan d'architecture entre autres, où il sera commode, afin d'éviter la confusion, d'établir d'abord le trait du dessin pour procéder, après un deuxième vernissage, à l'indication des ombres (pl. IV, fig. 4). — Pardon, monsieur, ne pourrait- on pas obtenir ce résultat par la même morsure, en fai- sant le trait du dessin avec une grosse pointe et les ombres avec une pointe plus fine? — Certainement, et nous retrouverions ainsi l'exemple que je vous ai donné de travaux obte- nus avec des pointes de différentes grosseurs. D'après ce que je vous ai déjà expliqué, et suivant le sujet à traiter, on peut obtenir l'en- semble par l'exécution et la morsure isolées de chaque plan : ainsi on commence par le premier que l'on fait mordre; après avoir fait tirer une épreuve, on revernit la planche pour procéder de la même façon à l'exécution des autres plans et du ciel, en faisant tirer une épreuve chaque fois pour servir de guide. A L'EAU-FORTE. 73 Ce mode d'opération, essentiellement graveur, est surtout avantageux pour disposer un ciel ou un lointain derrière un feuillage compliqué ; on peut dessiner isolément le ciel et le lointain que Ton fait mordre (pl. IV, ûg. 5), puis, la planche étant revernie, exécuter les travaux des arbres sur ceux des fonds ; ces derniers travaux mordant à part, il est évident que Pan aura procédé avec logique et évité une difficulté presque insurmon- table, celle de réserver au pinceau les traits du ciel à travers un feuillage clair et persillé. On peut procéder autrement, en commençant par les arbres que Ton fait mordre et finissant par le ciel sur un second vernissage ; ces derniers tra- vaux prendront place derrière les arbres. Il ne faut pas s'inquiéter de faire passer les tra- vaux du ciel sur les tailles des arbres, car la morsure du ciel devra être si légère qu'elle n'ajou- tera rien au ton du feuillage, et vous aurez toute liberté d'action pour donner aux coups de pointe la direction que vous voudrez. Quelques graveurs trouvent plus commode de commencer par le ciel et les plans lointains, à cause des points d'arrêt que rencontrerait la pointe dans les sillons plus mordus des arbres, ce qui détruirait l'aisance de leur exécution; ils ont rai- son s'ils sont en face d'un ciel compliqué, mais s'il ne s'agissait que de quelques traits, il serait mieux de les faire après 5 il est facile néanmoins 74 TRAITÉ DE LA GRAVURE de s'habituer à ces secousses de la pointe quand elle agit sur un travail déjà mordu. Ce que je vous ai dit peut s'appliquer aux mâts et aux cordages d'un bateau, etc., à toutes lignes enfin qui doivent trancher nettement et vigoureusement sur un plan finement mordu. Un aqua-fortiste émérite a eu une idée assez originale, celle d'exécuter une eau-forte dans le bain même, en commençant par les plans qui doivent être vigoureux, continuant graduellement par les autres et finissant par le ciel (i). Ces divers plans peuvent arriver à une morsure pro- portionnelle, mais il faut aller d'autant plus vite que la morsure du travail fait ainsi dans le bain est cinq ou six fois plus rapide. On doit être cu- rieux d'essayer cette audacieuse manière d'opérer, pour voir comment on pourra allier l'inspiration du moment à la durée peu précise d'une morsure qui s'affranchit ainsi de toute règle méthodique et ne suit d'autre loi que celle que lui impose un caprice d'artiste. Tout ceci vous prouve que dans Peau-forte on a la liberté d'appliquer à ce qu'on veut faire tel ou tel mode d'opération. Il est bon de les (i) Le bain employé dans ce cas est un composé de : 880 gr. eau, 100 gr. acide muriatique pur, 20 gr. chlorate de potasse. A L'EAU-FORTE. 75 essayer tous, comme on doit essayer toute chose pouvant amener un résultat nouveau, inconnu, donner une idée, réaliser un progrès que la rou- tine ne favorise pas toujours. 7* TRAITÉ DE LA GRAVURE CHAPITRE VIL RECOMMANDATIONS ET PROCEDES PARTICULIERS. PLANCHES DE ZINC ET D'ACIER. THÉORIES DIVERSES. § L — Recommandations et procédés particuliers. La roulette. La latitude que je viens de vous donner n'est pas exclusive au point que l'on doive approuver tous les procédés matériels sans exception ; il en est un dont je vous proscris l'usage, la pointe ayant assez de ressources en elle-même pour pouvoir se passer du concours de certains instru- ments étrangers ; je veux parler de la roulette, qui trouve son application naturelle dans d'autres genres de gravure. La pointe plate. Servez-vous de la pointe plate avec ménage- ment; elle enlève d'assez fortes largeurs de vernis, mais donne des tailles peu profondes et moins vigoureuses que celles que Ton obtient par une morsure prolongée, avec une pointe ordinaire. — Et le burin, monsieur, qu'en direz-vous? A L'EAU-FORTE. 77 — Le burin est rinstrument usuel et fonda- Le burin - mental de la gravure proprement dite en taille douce ; quoiqu'il ne soit pas absolument néces- saire dans le genre d'eau-forte que nous étu- dions, il y a des cas où il peut intervenir avec avantages, mais à titre d'auxiliaire seulement. Ainsi , pour obtenir des vigueurs sur un tra- vail très-mordu, mais d'apparence grisâtre et terne, dans un ton étalé, où régnerait une sorte de monotonie, quelques coups résolus et irrégu- liers de burin feront merveille et réchaufferont la valeur du ton. Quelques tailles écartées de burin donnent de la fraîcheur à une teinte salie, creuse et rougeâtre, sans augmenter le ton. On peut se servir aussi du burin pour des raccords partiels dans des travaux assez mordus. Le burin, d'une forme rectangulaire, aiguisé en biseau, est appliqué un peu horizontalement sur le cuivre nu ; son manche, arrondi au-dessus, plat au-dessous, est tenu dans la paume de la main, l'index appuyé sur la tige d'acier; on le pousse en avant et il pénètre franchement le métal; son plus ou moins de pression et d'incli- naison sur la planche produit la différence des tailles. Le ton obtenu par le burin est plus vigou- reux que celui de la morsure, parce qu'il creuse le cuivre plus profondément. Si on en faisait un grand usage dans une eau-forte, comme sa taille 78 TRAITÉ DE LA GRAVURE est extrêmement nette, elle trancherait par la différence de ton avec les travaux de la morsure ; pour faire disparaître cette inégalité, il suffirait de faire remordre légèrement le plan où le burin a été employé, ce qui donnerait aux tailles de celui-ci le même aspect que celles de la morsure. En somme, n'usez du burin qu'avec la plus grande circonspection, parce que la science de son application à la pointe est très-délicate et donne à l'eau-forte un autre caractère que celui qui nous occupe. Il me semble que l'employer dans une eau-forte libre, enlevée du premier coup, c'est comme si on venait jeter une phrase de Bossuet au milieu de la conversation. Papier de verre. En fait de moyens mécaniques, redoutez les tons obtenus par le frottement du papier de verre sur le cuivre ; ils se traduisent la plupart du temps par une tache sale et sans fraîcheur. Évitez ce procédé à cause de sa difficulté d'emploi. Un très-habile graveur peut seul en tirer parti. Fleur de soufre. Pour harmoniser ou augmenter la valeur d'un ton, je craindrais moins de vous voir employer la fleur de soufre. On la mêle avec de l'huile, de manière à former une pâte homogène assez épaisse que l'on étend par couches au pinceau sur le travail mordu. L'action de ces deux corps sur le cuivre A L'EAU-FORTE. 79 dépolit celui-ci et produit à l'impression un ton frais et suave qui se marie agréablement avec celui de la pointe. Il est facile d'obtenir des différences de valeur en laissant plus ou moins longtemps le soufre sur la planche. Cette morsure d'un autre genre est rapide dans la chaleur ; quelques minutes suffisent pour un ton ferme. Par le froid, elle demande un temps relativement pro- longé. Cette corrosion, d'un aspect fortement bistré sur le cuivre, produit à l'impression des teintes beaucoup moindres. Si Ton n'est pas satisfait «de ce que Ton obtient, on l'efface au charbon, car le cuivre est très-superficiellement attaqué. Cette extrême légèreté de morsure permet aussi d'éteindre au brunissoir quelques parties que l'on voudrait faire ressortir en blanc. C'est un procédé très-complaisant ; vous le voyez, mais il rappelle trop la manière noire ou l'aqua-tinte, et d'ailleurs il ne peut être appliqué qu'en teintes plates, sans modelés ; je vous l'indique néanmoins, pour que vous en usiez par fantaisie, à titre de curiosité, mais avec réserve ; il vaut mieux employer la pointe sèche, qui rentre dans les procédés naturels de la gravure à l'eau-forte. Il vous est accordé, avec la même restric- Morsure par tion, pour quelques parties de vieux murs, de P lcotements - So TRAITÉ DE LA GRAVURE rochers ou de terrains, pour des plans où vous voudriez faire régner une sorte de désordre pit- toresque d'exécution, de recourir au moyen suivant (pl. V, ûg. 2) : vous étalez du vernis ordinaire sur une plaque de cuivre suffisamment chauffée ; vous tamponnez et reportez le tampon inégalement chargé sur les plans déjà mordus de votre planche, chauffée à son tour; le vernis y adhérera d'une manière irrégulière, laissant le cuivre à nu dans quelques endroits ; vous protégerez au pinceau les parties que vous vou- lez réserver et ferez mordre à l'acide pur; vous obtiendrez des picotements assez curieux. Employé à propos dans des sujets où votre fantaisie sera libre de s'exercer, ce procédé vous don- nera des résultats inattendus et souvent heu- reux. Réserves au Avant de passer outre, je dois vous indiquer tit vernis sur -, -, rr m travail. un m oyen commode pour rendre un effet d orage (pl. V, fîg. 2) : vous ferez le ciel à la pointe, d'une manière serrée, pour avoir les tons sombres des nuages, et, avant de faire mordre, vous dessi- nerez au vernis à pinceau les carreaux de la foudre ; ainsi protégée à la morsure, cette ligne sera blanche à l'impression; elle sera plus nette et plus naturelle que si vous l'aviez réservée dans le travail de la pointe, l'obtenant par deux traits qui l'auraient cernée d'une manière un peu dure. A L'EAU-FORTE. 81 Vous pouvez procéder de même pour un clair de lune, pour des filets de lumière dans l'eau, pour toutes lignes claires difficiles à réserver sur un fond noir. §11. — Planches de line et d'acier. Jusqu'ici je ne vous ai parlé que de planches de cuivre. On grave aussi à l'eau-forte sur le ^inc et Y acier. La morsure du zinc est rapide et exige quatre fois moins de temps que celle du cuivre à degré égal : 10 degrés suffisent pour le même temps. Cette morsure est brutale, sans finesse et sans profondeur. Le zinc ne supporte pas un long tirage. L'acier mord aussi avec une grande rapidité; un huitième d'acide sur sept parties d'eau suffit pour sa morsure qui, en moyenne, dure d'une minute à cinq, depuis les plans faibles jusqu'aux plus forts. On fait très-peu d'eaux-fortes libres sur l'acier, employé plus particulièrement dans les autres genres de gravure. § III. — Théories diverses. Il y a un genre de gravure peu pratiqué au- vernis mou. jourd'hui, connu sous le nom de vernis mou, et qui a été cultivé avec succès, il y a une trentaine 6 82 TRAITE DE LA GRAVURE d'années, par Louis Marvy et Masson. Les gra- veurs du siècle dernier le désignaient sous le nom de gravure en manière de crayon. On prend une boule de vernis ordinaire que Ton fait fondre au bain-marie, dans un petit vase, en y ajoutant, en hiver, un volume égal de suif; en été, on met un tiers de suif et deux tiers de vernis ; on laisse refroidir le mélange obtenu et on en fait une nouvelle boule que Ton enveloppe d'un morceau de soie, très-fine de tissu. On en vernit une planche à la manière habituelle et on enfume légèrement. Sur ce vernis ramolli on fixe une feuille de papier très-mince, ayant du grain, et l'on y fait un dessin au crayon • partout où passe celui-ci, le vernis s'attache au papier en proportion de la pression de la main, et, quand la feuille est retirée avec précaution, elle entraîne le vernis qui y est adhéré. On fait mordre la planche ainsi dépouillée et on obtient une gravure identique au dessin (pl. VI). Si à l'impression on remarque de la mollesse ou de l'indécision dans ce travail, on peut le re- prendre à la pointe, en revernissant et en faisant mordre; c'est-à-dire que l'on fait une eau-forte sur ce premier état en le précisant davantage et en ajoutant des travaux de morsure ou de pointe sèche partout où la pensée est traduite d'une ma- nière insuffisante ou vague. On ne peut néan- moins procéder que par pointillés inégaux pour A L'EAU-FORTE. 83 se conformer au caractère du premier travail. Sans cela il n'y aurait pas d'homogénéité dans l'aspect de ce genre de gravure, où le grain du papier joue le plus grand rôle; on n'obtiendrait rien avec un papier satiné. On se sert à son gré de papiers à gros grains ou à grains fins ; on peut même les alterner dans le même sujet. Ce genre de gravure demande beaucoup de précautions à cause de la fragilité du vernis. 11 est nécessaire de protéger la planche de manière à ne pas y appuyer la main. (Voir ci-après hY Aciérage.) On grave aussi à la pointe sèche ; ici l'eau- Gravure à la forte n'a rien à mordre [Outillage). On dessine P omtesec e - à la pointe sèche sur le cuivre nu, appuyant plus ou moins fort, et élargissant ou resserrant ses tailles, suivant la valeur des tons que l'on cherche (pl. Vil). L'accent de ce genre de gra- vure consiste dans Yébarbure. Il est rationnel de commencer par le ciel ou les valeurs délicates et de les ébarber si on a des valeurs plus vigou- reuses à disposer par-dessus. (Voir la Pointe sèche, page 50.) Il est commode de préparer ses plans en des- sinant sur la planche vernie et enfumée, que l'on essence pour continuer, guidé par le trait général effleuré sur le cuivre. On voit parfaitement ce que l'on fait en éta- lant au chiffon un peu de noir de fumée, délayé dans du suif, sur le travail, au fur et à mesure 84 TRAITÉ DE LA GRAVURE qu'on l'exécute, et en l'essuyant avec le plat de la main ; on peut ainsi observer et conduire son œuvre jusqu'au bout, soit en ébarbant plus ou moins ou n'ébarbant pas du tout les tailles de chaque plan, soit en ajoutant des travaux partout où on les voit insuffisants. Le travail présente sur la planche ce qu'il présentera sur le papier. On modèle ainsi son sujet ; on fait passer des tailles vigoureuses sur des tailles ébarbées; on en enlève, on en remet. A l'impression on obtient des tons veloutés et puissants, tels que les pro- duit l'estompe sur le papier. (Voir ci-après à Y Aciérage.) Rembrandt a employé, sans l'ébarber, la pointe sèche dans quelques-unes de ses prin- cipales eaux-fortes. Procédé a la Je dois vous parler maintenant d'un procédé plume. g ravure qui offre des ressources : après avoir bien nettoyé une planche avec de l'essence d'abord, ensuite avec du blanc d'Espagne, et en prenant la précaution de ne pas y mettre les doigts, on y fait un dessin à la plume avec de l'encre ordinaire, de la petite vertu ou de Guyot si on veut. Il ne faut pas s'attendre néan- moins à trouver dans la plume la finesse de la pointe. Le dessin terminé et bien sec, on vernit et on enfume la planche sans tenir compte du dessin, en ayant soin toutefois que la couche de vernis ne soit pas trop épaisse, puis on met la planche \ A L'EAU-FORTE. 85 dans l'eau. Au bout d'un quart d'heure, on la frotte légèrement avec de la flanelle ; l'encre ra- mollie entraîne avec elle le vernis qui la recouvre et laisse apparaître un dessin très-net que Ton fait mordre. On procède avec une seule plume et diverses morsures, ou avec des plumes de grosseurs diffé- rentes et une seule morsure. Comme pour le vernis mou, on est libre d'ajou- ter à la pointe des travaux de finesse. 11 est important de vernir et de mettre la planche dans l'eau le plus tôt possible. Au bout de deux jours l'encre ne se détache plus. Voici un moyen assez simple pour obtenir des Epreuves à la épreuves quand on n'a pas une presse à sa dis- position et que l'on désire de suite se rendre compte de sa morsure. On prend une feuille de papier très-mince, un peu plus grande que la planche, et on Fenduit d'une légère couche de cire fondue, de la vraie cire, de la cire blanche ; puis on répand sur la partie gravée un peu de noir de fumée que l'on étale avec le bout du doigt, de manière à le faire pénétrer dans les tailles ; on donne un léger coup de plat de la main pour nettoyer la surface du cuivre 5 on y place la feuille de papier, la cire tournée contre la gravure ; on a soin de retourner les bords du papier sur i'envers de la planche pour bien l'y fixer, puis on passe le brunissoir 86 TRAITÉ DE LA GRAVURE dans tous les sens : le noir de fumée s'attache à la cire et rend toujours une image approximative, suffisante pour diriger l'artiste dans la reprise des travaux, s'il y a lieu. De telles épreuves et celles que Ton vous a tirées à la hâte jusqu'ici ne peuvent que don- ner une idée de votre travail sans en présenter la véritable expression ; allez chez un imprimeur si vous voulez vous mettre au courant des res- sources de l'impression, dont la connaissance est utile après celle des procédés (i), (i) Principaux imprimeurs pour la gravure à l'eau-forte : Beillet, 35, quai de la Tournelle. V e Cadart, 56, boulevard Haussmann. A. Delatre. François Liénard, 247, rue Saint-Jacques. Salmon, 15, rue Vieille-Estrapade. A L'EAU-FORTE. 87 CHAPITRE VIII. DE LIMPRESSION. La première préoccupation après le déver- nissage de la planche, c'est de voir ce que don- nera Fépreuve. Voilà Timprimeur devant sa presse; à côté de lui, une caisse en tôle renfermant un réchaud ; puis du noir, un tampon, des chiffons, du papier. Il va montrer l'usage de tout cela à notre jeune élève qui lui présente sa planche, désireux d'être renseigné sur tout ce qui se rattache au tirage des épreuves. — Je place, dit Timprimeur, la planche sur Épreuves la caisse de tôle; elle s'y échauffe suffisamment et j'y étale, au moyen de ce tampon, du noir d'impression ; le noir, en pénétrant dans les tailles, couvre complètement la planche ; j'en retire l'excédant avec un chiffon de mousseline roide, comme cela se pratique pour toutes les manières d'imprimer; puis j'essuie avec la paume de la main, de manière qu'il ne reste de noir que dans les tailles ; j'essuie également les marges naturelles. 88 TRAITÉ DE LA GRAVURE du cuivre, pour laisser sur la gravure seule la légère teinte du noir; et je livre la planche à la presse, l'établissant sur une tablette engagée entre deux cylindres de fer ou de bois dur ; je dispose sur la planche une feuille de papier légèrement mouillée, et je recouvre le tout de langes de flanelle; je donne l'impulsion à la roue de la presse : les rouleaux, tournant sur eux-mêmes, entraînent la tablette, qui, passant entre eux, est soumise à une forte pression; les langes facilitent par leur élasticité rentrée du papier dans les tailles. Vous le voyez, du reste, votre planche se trouve maintenant de l'autre côté des rouleaux ; nous n'avons fait qu'un tour, bien que généralement on tire à deux; c'est- à-dire en faisant revenir la planche sur elle- même, ce qui donne plus de puissance, mais quelquefois moins de finesse et de précision aux traits que lorsqu'on procède par un seul tour. Je relève les langes et retire avec précaution la feuille de papier; elle a absorbé le noir : nous avons une épreuve naturelle, qui donne exacte- ment l'état de la planche (pl. î) . C'est de la même façon que s'imprime la gravure en taille- douce, avec cette différence, toutefois, que la teinte, plus ou moins apparente, maintenue sur la planche gravée à Feau-forte (pl. III, IV, V), n'est pas conservée sur la planche gravée au burin. A L'EAU-FORTE. 89 L'impression de la gravure à Feau-forte Divers modes s'écarte souvent de cette manière uniforme. Sou- t^J^lT^t mise à des nécessités d'harmonie et au caractère l'eau-forte, de l'exécution, elle est variable dans ses effets et devient un art dans certains cas où l'artiste et l'imprimeur se trouvent solidaires l'un de l'autre ; l'ouvrier pour saisir la pensée de l'artiste, et l'artiste pour accepter l'expérience pratique de l'ouvrier (1). Ainsi votre planche, imprimée comme nous venons de le faire, donne une épreuve un peu sèche; elle demande plus de suavité. Nous pourrions, après avoir essuyé la planche Retroussage. à la main, la retrousser, c'est-à-dire l'effleurer légèrement, avec un morceau de mousseline douce roulé en chiffon; la mousseline entraîne dans ce cas le noir hors des tailles et le répand sur les bords ; à l'épreuve, un ton vigoureux remplit l'es- pace compris entre les traits ; mais il faut, pour agir ainsi, que les travaux soient également es- pacés dans tous les plans et qu'ils soient surtout (1) Il serait très-avantageux que chaque artiste pût tirer ses épreuves lui-même. Rembrandt en est l'exemple le plus frappant, puisque de sa main sont sorties bien des notions que l'on utilise aujourd'hui. Du reste, il est facile de se procurer une presse. On en trouve, entj-e autres, dans la maison V e Cadart, qui a fait confectionner spécialement pour les artistes et les amateurs un modèle de petite dirr ension et facile à transporter, avec tous les accessoires néces- saires pour l'impression. ço TRAITE DE LA GRAVURE écartés. Pour être d'un effet juste, le retroussage doit être général ; car, si le chiffon passe dans un plan et non dans un autre, dans une partie foncée et non dans un plan clair, il y a discor- dance de ton, et par conséquent absence d'har- monie. Ce moyen serait ici défectueux; car votre travail, large dans certaines parties, est serré dans d'autres ou l'espace manque entre les tailles ; le noir qui en sortirait ne trouverait pas de place ; nous obtiendrions un ton bourbeux, un de ces empâtements qui attirent des critiques contre l'imprimeur, quand il applique inutilement le retroussage à des planches où les travaux se suffisent à eux-mêmes. Emploi de Employons un autre moyen : l'épreuve ga- la mousseline cr nera en fraîcheur quand nous aurons adouci le pour essuyer la . x planche. travail en passant d une manière un peu plus forte, après l'action de la main, la mousseline r^oide sur la planche (pl. II) ; par suite de cette pression, la mousseline roide, au lieu de repor- ter ailleurs le noir qu'elle enlève des sillons, le retient dans ses légères rugosités ; un ton d'es- tompe se manifeste sur le cuivre et enveloppe les tailles sans les obstruer; l'épreuve est souple et veloutée. Voyez une autre nuance : j'imprime en ce moment des planches originales de divers ar- tistes . Vraies eaux-fortes de peintres, quelques- unes de ces planches sont très-accentuées, puis- A L'EAU-FORTE. samment mordues ; les tailles sont espacées et significatives. Imprimées naturellement, ces plan- ches donneraient des épreuves d'un aspect creux et mince. L'action de la main devient inu- tile; je passe la mousseline roide. Je continue et je termine ainsi, de manière à essuyer davantage les plans lumineux et à laisser l'ampleur de la teinte sur les plans ombrés et très-mordus. Je pourrais aussi essuyer assez fortement à la mous- seline douce et retrousser avec une mousseline douce plus propre certains travaux de la planche. 11 ne faut pas confondre avec le retroussage cette manière d'essuyer, qui laisse sur le métal une teinte plus ou moins forte. Voici l'épreuve d'une des planches dont je vous ai parlé : elle est soutenue sur tous les points ; le trait est plein et nourri ; l'aspect général est harmonieux et énergique, les lumières adoucies ; les plans vigoureusement accusés sont enveloppés d'une teinte chaude : c'est presque la peinture appor- tée dans Peau-forte. On procède ainsi pour les planches où les travaux profondément mordus n'auront pas exigé de morsures multipliées, pour les œuvres sobrement exprimées, pour les croquis (pl. VIII). L'imprimeur a quelquefois d'autant plus d'initia- tiv